Le temps ne se montrait pas clément. Les bourrasques de vent fouettaient le visage de Ninmah. En haut de cette falaise, dans un lieu reculé et peu fréquenté, ses mèches volaient au grès de cette brise violente. Elle grogna et se les attacha dans un maigre chignon. Depuis petite, son frère lui répétait à quel point les cheveux longs pouvaient être un point faible. Elle se rappelait encore de la fois où - pour le lui prouver - il l'avait fermement aggripé par la queue de cheval, avant de la trainer tout le long du terrain d'entraînement. Après cela, elle en fut traumatisé et les coupa.
Ainsi, il lui avait montré qu'en combat réel, tout son corps était une faiblesse. Elle devait s'endurcir, chercher davantage, toujours plus haut. Ne pas abandonner. Son existence serait rythmée par cela. Combattre, tuer, devoir, sang, égorger, famille. Son futur ne sera que cela : un paysage jonchait de corps à l'agonie. Elle n'avait pas le choix, elle n'aurait pas le choix. De toute manière, il était trop tard. Entre les griffes de Rajan Tsukino, son allégeance lui appartenait. Elle lui appartenait.
Prisonnière, son destin ne dépendait plus d'elle-même.
Alors, dans cette solitude où elle rejetait autrui, elle ne désirait personne à ses côtés. Cependant, quand elle vit, elle le sut. Des recherches, un nom, une famille connue. Hanru Awataguchi. Ses mouvements, ses gestes, sa façon de se tenir, tout lui inspirait une familiarité étrange. Dans cette altercation avec Miyuki Fujiwara, elle le sut. Quelque chose en elle le lui soufflait.
Elle et lui étaient de la même espèce.
Alors qu'elle entendit ses pas dans son dos, elle se détourna de la vue immanquable sur la mer. Un petit sourire s'étira sur ses lèvres. Il aurait pu s'approcher sans bruits mais il l'a averti de son arrivée. Du moins, c'était la pensée qu'elle se fit. Son attention se posa sur cet homme. Elle ne le connaissait pas mais une part d'elle le reconnaissait. Une part d'elle savait.
- Bonjour, Hanru Awataguchi.
Elle voulait percer ce secret commun.
ASHLING POUR EPICODE
secret commun
20.11.96
La pluie avait agité sa nuit, il qui d’ordinaire s’endormait avec s’était mis à réfléchir. Avait-il mis en péril l’un des secrets du clan ? Tournant et retournant entre ses doigts un petit porte-clé, il inspira profondément, une main derrière sa tête, une jambe pliée jusqu’à ce que le sommeil l’emporte.
Le lendemain, la tempête s’était calmée, mais les nuages étaient toujours de la partie, annonçant une nouvelle vague qui ne tarderait pas à caresser son visage dont la froideur se reflétait davantage. Son rendez-vous près des falaises saura dénouer le mystère autour de ces origamis suspects, néanmoins intrigants. Il ne prit pas la peine de masquer sa présence, par flemme et parce qu’il s’agissait d’un rendez-vous. Observer l’adversaire aurait été une stratégie envisageable. Seulement il ne le voyait pas leur entrevue de cette manière. Dans l’inconfort du vent qui emportait ses longs cheveux noirs, il leva ses mains pour transformer la queue de cheval en un chignon élégant, bien que quelques mèches s’échappaient de sa prise, guidée par le vent. « Ninmah Tsukino » dit-il après avoir croisé ses bras, inclinant poliment sa tête pour présenter ses respects. Il était de coutume chez les Awataguchi de garder des relations saines peu importe avec qui et elle ne ferait pas exception, qui qu’elle puisse être.
« Il me semble que nous avons le même âge, je propose que nous oubliions les formalités » elles ne servaient guère sa cause en ce cas précis. « Tu avais des questions peut-être ? » lui en avait beaucoup malgré la présence du bokken accroché à sa ceinture. Simple excuse à leur entrevue d’adolescents stupides. Pourtant, d’ici un an ou deux, ils seraient considérés adultes et jugés comme tels. Ce qui n’effrayait pas davantage le plus grand.
Dans son dos, une caresse enveloppa sa peau de milliers de frissons, s'appropriant son corps avec froideur. L'éclat blême des vagues se jetait sur les abruptes rochers de la falaise. La mer, d'une férocité impétueuse, se retirait blessée de son attaque inégale, hurlant sa douleur dans la brise océanique. Hanru se tenait là, comme s’il l’avait toujours été. Elle le détailla de haut en bas, curieuse de ce personnage inconnu à sa connaissance. De sa rétine, elle imprima les traits de sa stature. Elle détailla la manière dont il noua ses cheveux, appréciant ce spectacle d’un temps hors du monde. Ce lieu, ce moment, rien ne résultait d’un heureux hasard. Tout découlait d’une attention particulière de sa part.
Le moindre de ses gestes, la moindre de ses pensées, son esprit aux aguets. Ninmah ne montrait jamais cet aspect prudent de sa personnalité, mais aujourd’hui il était de mise. Elle ne connaissait qu’un nom, qu’un physique. Sa famille lui répétait ô combien l’humain possédait de masque. Encore plus ceux de sa propre espèce.
Elle inclina la tête d’un geste léger, répété dans un enseignement de courtoisie longuement assimilé. Elle connaissait les principes amicaux des Awataguchi. Malgré son insolence naturelle, elle ne désirait pas vexer son vis à vis. Au-delà de deux êtres, leurs familles régnaient au-dessus de leurs têtes. Une responsabilité qui ne dépendait nullement de leur propre chef. De plus, leurs clans nouaient des liens forts dans le milieu professionnel. Elle ne pouvait bafouer l’honneur de ces sang-purs, qu’importe qui il était devant elle.
Elle acquiesça, aucunement opposée à sa proposition. Elle n’avait que faire des formalités. Autant se parler sans détour.
- Je me demandais où avais-tu appris à te battre de cette manière ?
Elle laissa un instant le vent siffler dans leurs oreilles. La nature grondait encore d’une nuit agitée, ou alors attendait-elle qu’un des deux commettent un faux pas pour l’engloutir dans un terrible cataclysme ? Elle ne se permettait de dire les choses clairement, au risque de devoir mourir. Révéler ce secret revenait à trahir son nom.
Tes mouvements me sont familiers. Je dirais même… que je les connais parfaitement.
Un éclair dans ses iris, un rugissement dans le ciel, elle ne serait pas étonnée d’une nouvelle tempête à l’horizon. Le temps était quelque chose de fortuite, comme les hommes. Une adrénaline spectatrice pulsa dans ses veines. Au-dessus de ce ravin, chacun de leurs mots pouvaient les pousser à une fin certaine.
ASHLING POUR EPICODEsecret commun
20.11.96
Pour entendre ses mots, il se rapprocha nécessairement d’elle, sans demi-mesure, écoutant avec attention la requête qui lui était faite. Sans dire un mot, il attend plus de détails, la suite qui faisait battre un peu plus fort son cœur au rythme effréné d’un espoir qu’il ne laissa aucunement transparaître. Dans ses yeux d’un bleu presque noir, semblable aux abysses nullement explorés de l’espèce humaine et encore mystérieuse des sorciers, passe une lueur aussi brillante que la lame de leurs sabres. Il ne doutait pas qu’elle en possédait, si tentée qu’ils soient autorisés à les apporter ici même. À connaître cela, elle gagnait son intérêt pour lui révéler prudemment son affiliation au sein du clan Tsukino et force un rictus sur le visage impassible d’Hanru.
« Tu connais déjà la réponse, j’en suis sûr » de l’animosité dans sa voix, il ne transparaissait que le goût pour ce miroir qu’il avait tant cherché. Se voir au travers d’un autre, plus redoutable qu’il ne l’est en réalité. Car malgré son éducation, une seule erreur lui avait fait défaut, scellant son destin à tout jamais. S’il avait cherché à s’en défaire, la couleur carmin lui rappelait toujours son aversion. Pire encore, sa phobie pour l’hémoglobine. Il n’en dit rien cependant, instruit et entraîné sans relâche par sa volonté et par la bienveillance de son père qui ne l’avait pas rejeté. Si sa lame ne connaitrait jamais le goût du sang, loués soient leurs dieux, il demeurait à leur côté cependant. Même ignorant, il s’en contentait. Pour l’instant.
« Était-ce tout ce que tu voulais savoir ? » où avait-elle encore des questions, maintenant certaine qu’ils avaient en commun cette voie tracée pour eux. Nul besoin de savoir que ça n’était pas entièrement son cas. Honteux, il se gardera de le dire et pourrait être un atout à l’avenir pour n’avoir rien su et pourtant avoir été approché. Une information précieuse que l’on venait de lui donner. Sans être maître et ne se sentant aucunement menacé pour établir un tel rapport, il se contente d’apprécier ne pas être le seul à avoir subi quelques traumatismes lointains et à les avoir presque tous terrassés. Qu’en était-il de la jeune femme en face de lui ? Était-elle restée saine d’esprit ?
Un reflet. Tel était ainsi ce qu’elle voyait à travers ses prunelles luisantes. Elle cligna des paupières, plusieurs fois, dans la volonté d’effacer cette image, ce double, cet homme. Prise dans un tourment intérieur immanquable, un espoir brûla inconsciemment en son sein. Une flammèche fortuite dans sa poitrine exaltée d’une respiration langoureuse. C’était une première. Elle eut l’impression de se voir dans une seconde ondoyante. Elle ne connaissait guère cette sensation. Solitaire depuis toujours, incomprise et désolée, elle découvrait un nouveau sentiment.
Trouver un égal.
Elle comprenait au combien cette flamme grandirait, alourdissant ses membres et faisant rugir ses vaisseaux ignivomes. Elle en était ébaubie. Son expression changea, se muant en une surprise, une attente, un espoir. Hanru Awataguchi. Elle désirait en savoir davantage, s’approcher de lui, étudier cet homme semblable à son espèce. Elle renonça à une réflexion. Familles différentes ou non, les Awataguchi et les Tsukino entretenaient des liens forts et mémorables. Elle ne risquait aucunement des représailles.
Ils étaient égaux.
Son estomac vrilla. Que cela pouvait-il signifier ? Elle garda son caprice puéril de l’inviter à ses côtés, d’en faire ce qu’elle avait longuement rejeté. Un ami. Évidemment, Hanru était unique. Similaire et différent, elle voyait en cette stature et ce visage impassible l’idée d’une rencontre imprévue sur ce tableau d’échec qu’était sa vie.
Elle laissa cette fausse froideur à l’abandon. Elle voulait désespérément lui communiquer cette attente, cette certitude. Un sourire s’accapara son visage, une lumière dévora ses pupilles. Le petrichor de l’herbe lui piqua le nez. Elle n’en fit guère attention, trop obnubilée par l’adolescent. Était-il fort ? Comment savait-il se battre ? En duel qui était le meilleur ? Qu’avait-il vu, connu, expérimenté ? Cet intérêt la cloua sur place, la cloitrant dans cette curiosité dévorante.
Elle souhaitait tout connaître.
Tout apprendre.
Elle ne savait comment agir, comment répondre. C’était bien la première fois qu’elle voulait s’attirer la sympathie d’autrui. Elle oublia la distance poignante de leurs discussions.
- V-Vraiment ?
Un mirage dans une flaque d’eau. L’ondulation d’un miroir en face d’un autre. L’animosité s’évapora. Elle s’approcha d’un pas, réduisant cet éloignement factice. Plus petite, elle ne s’en formalisa pas. Pas cette fois du moins. Elle releva les yeux dans sa direction, animée d’une énergie inédite.
Je suis si curieuse de toi Hanru. Je ne pensais jamais rencontrer quelqu’un comme… moi. Ou devrais-je dire "nous" ?
L’orage arriverait bientôt sur cette falaise. Elle s’en contre-fichait bien. Aujourd’hui, un jour historique se profilait à l’horizon. Pour elle. Cette sensation ne pouvait être fictive. Il représentait tout ce qu’elle était aux yeux des Tsukino, mais pour dans son cas à ceux des Awataguchi. Une minute de silence vola entre eux, au même titre que leurs mèches rebelles.
Je suis fabuleusement excitée de t’affronter en duel si l’envie t’en dit, ou de m’entraîner à tes côtés. Je comprendrais que tu refuses, mais je pense que cela peut-être une occasion pour cet avenir commun qui nous attend.
Elle ne comptait le laisser s'enfuir.
ASHLING POUR EPICODEsecret commun
20.11.96
Dans ses yeux brillent une lueur insoutenable, irrésistible vibrant au rythme d’un espoir et par ses mots elle le lui fait comprendre. La surprise de sa franchise sans détour les rend tous deux complices d’une confidence le temps d’un instant ils ne sont plus étudiants, mais assassins de leurs clans respectifs et si ça n’est un secret pour personne, avouer son appartenance pourrait être dangereux s’il y avait eu preuve d’actes condamnables. Fort heureusement pour eux il n’en était pas question, encore innocentés par l’éducation imposée de la main d’un directeur pro-ministère. Ils n’en avaient pas encore terminés avec leur jeunesse et bien moins encore avec l’apprentissage d’une vie qui n’aurait rien d’aisée pour eux. Hanru se contentait d’accepter et de viser ce destin tant désiré depuis l’enfance. Il n’aurait aucun mal à l’obtenir en revanche son défaut résidait dans le revers de sa lame, lui interdisant de commettre l’erreur de décevoir.
Les Awataguchi ne réprimandaient pas les enfants pour leurs défauts encore moins lorsqu’ils étaient issus de la branche spirituelle, ce qui ne l’empêchait pas d’être lui-même plus stricte et de réfuter la moindre imperfection de ses capacités. La Tsukino n’en savait rien, dévorant la moindre particule sous les vrombissements d’un ciel coléreux. Sa curiosité dévoilée n’exigeait rien de plus que le reflet du miroir élémentaire et invisible entre eux se dressant malgré tout comme un mur. La distance se réduisait et les mèches voletaient autour du visage du yatagarasu concentré sur la seule vision du sourire éclatant de la jeune femme. Il l’avait ressenti lui aussi, ce besoin de reconnaitre l’autre et d’en mesurer la grâce par le maniement du sabre, mais il devait préserver davantage ses faiblesses et ne les exposer sous aucun prétexte. « Tout comme moi tu dois passer beaucoup de temps à t’entrainer, je n’ai rien contre à ce que nous en passons ensemble » la courtoisie l’obligeait à une rudesse dont lui-même s’étonnait parfois. Sans trouver mot dire pour se montrer plus ouvert, il penche simplement sa tête, recevant de temps à autre une pluie fine apaisant la moindre tension de ses muscles bandés sous l’uniforme.
« Il n’est pas difficile de savoir qui parmi les élèves sont les plus à même à nous ressembler. Mais en parler c’est autre chose. Je réitère ma question puisque nous sommes d’accord pour nous entraîner ensemble, que souhaites-tu savoir d’autre ? » Dans ses yeux, l’éclat azuré s’irise. Il lui laissera connaître une part de lui que très peu sont capables de percevoir et en échange, il en attendra la même chose.
Ninmah ne se fiait guère à cette froideur. Trop habituée à celle de son frère et de son père, l’affection possédait bien des formes à ses yeux. Pour la première fois après bien des années de mutisme, un espoir se réveilla en elle. Bien que moindre, il chérit cet élan de sentiments impensables pour sa famille. Ce feu crépitant fut bientôt étouffé par la réalité. L’émotion mourra dans sa poitrine, révélateur d’une éducation stricte, formatrice, destructrice. Elle souriait toujours. Pourtant, dans sa gorge une boule se forma, dans son observation Hanru se mua en ce garçon. Camarade de classe, enfant d’innocence, égorgé par le sang de son sang, et bientôt la mort planait au-dessus de sa tête frottant ses mains de délices.
Une respiration.
Une inspiration.
Une expiration.
Une goutte d’eau sur son épaule.
Si son âme pouvait pleurer, elle aurait déversé cette peine et cette culpabilité sanguinaire. Elle n’en possédait aucunement le droit. D'épancher ou de se souiller de telles émotions. Pierre ou glace, elle devait s’endurcir au prix de son humanité. Sinon… Sinon, elle finirait par en mourir. Hanru n’avait pas bougé, l’examinant avec indifférence. Cette proximité, cette familiarité qu’elle lisait dans sa silhouette, dans ce regard qu’elle espérait connaître davantage, une vague de soulagement lui ravagea l’être. Elle n’était plus seule. Et à bien des égards, cette constatation lui procura un courage incompréhensible. Ce n’était pas du désir charnel, chose qu’elle connaissait, mais bien un désir profond, intense, insondable. Aspirait-elle le posséder en tant qu’être humain ? Non, elle ne cherchait pas à briser cet oiseau rare. Il ne convenait pas à cet intérêt commun qu’elle partageait d’autrui. Il reflétait un souhait modéré et purement bienveillant. Chose qu’elle ne pensait ressentir pour un humain.
Il n’était pas humain. Il était comme elle. Ils ne peuvent se présenter en tant que tels. Car, en réalité, ils n’en ont que les traits. Nullement les convictions. Entre questionnement et besoin, Ninmah oscillait dans ce tourbillon nouveau.
Sa poitrine se souleva lentement tandis qu’une deuxième goutte tomba sur son épaule. Elle avait entendu parler des Awataguchi. Les clans parlent, se jaugent et se testent. Les relations fluctuent, prenant parfois des directions difficiles et consternantes. Or, elle n’avait conscience de l’éducation de ces pairs historiques. Les Tsukino - surtout de sa branche - exigeait le meilleur. Enfant déjà, on la poussait aux limites de ses capacités, jusqu’à exiger la sueur et le vermeil de ses plaies. Revenir au domaine correspondait au retour inlassable dans un enfer de perfections. Deuxième, elle le serait toujours. Deuxième, elle se confortait dans cette division. Deuxième, elle cherchait à le rester pour toujours, pour ne pas devenir le centre d’une attention héritière. Le yatagarasu accepta sa mise au défi, satisfaisant son caprice.
- Tu es le premier que je rencontre… Tu es le premier comme moi.
Ils finiront bientôt trempés. Dans une réflexion taquine, elle se demanda si cela le dérangerait. Que voulait-il d’elle ? Que cherchait-il à parler en l’amenant sur cette piste. Elle le scruta, tentant de déceler ses qualités, ses vices, son essence.
As-tu peur de tuer ?
Une seconde de calme.
Un temps en suspens.
L’image de cet enfant à la cicatrice monstrueuse s’invita à sa droite, prêt à l’écorcher à son tour.
ASHLING POUR EPICODEsecret commun
20.11.96
Sous le masque se tordent les serpents habiles qui déforment le visage impassible en grimaces et en sourires. Ombres indistinctes qu’il en fait que percevoir Hanru reste lui aussi de marbre, bien qu’il sente les picotements d’excitation et de peur. Son éducation lui avait permis d’appréhender les nombreuses formes que possédait la mort et la signification de ce mot. L’expérience lui avait fait comprendre qu’il n’y avait aucun plaisir à sentir une vie s’échapper, si tenté qu’il ait assisté à pareille scène. Dans sa mémoire gravitent encore les souvenirs douloureux d’une exécution discrète en comparaison de celle plus douloureuse et violente qu’il n’avait su supporter.
Un soupir passe ses lèvres et il observe la Tsukino lui expliquer qu’elle n’en avait jamais rencontré d’autres. Lui, ne s’était jamais réellement posé la question, cependant ne doutait guère qu’un jour il devrait se méfier peut-être de leurs aveux à demi-mot. Sans en craindre la rupture de promesse silencieuse ni le coup d’une lame, il n’excluait pas de devoir possiblement y faire face un jour.
La curiosité est un défaut qu’il ne possède pas, dépendant de qui, de quoi et il ne juge pas ceux qui osent, tant que la pertinence de leurs répliques est justifiée. C’était légitime. Leur univers se construisait en corrélation avec l’ombre dans laquelle il devait se fondre lorsqu’on les y sommait. Légitime, ainsi de s’interroger et lui connaissait très bien la réponse pour s’y être heurté violemment. « Nous nous réincarnons. Non, je n’aurais pas cette peur si je le devais » ils étaient peut-être surveillés et quand bien même, la mesure de ses mots était précise afin de ne pas faire basculer la balance en faveur d’un tiers, en l’occurrence, Ninmah Tsukino pour l’instant. Il taira qu’un sabre ne lui sied guère pour tuer, malgré l’efficacité imparable de l’arme blanche et le fait qu’il s’agisse d’un art en lequel il avait vu son avenir se tracer, il lui serait impossible d’en assumer la vision sanglante.
Ses bras restent croisés tandis qu’il penche la tête, méfiants sur la réciprocité de ses mots et du sens qu’elle leur donnerait. Il ne l’embarrasserait pas à demander, ni même à poser l’évidence de savoir si elle avait eu elle-même à ôter une vie, se doutant qu’il serait imprudent qu’un étudiant soit impliqué. Il attendait cependant, le partage de ses idées sur la question. Quelle était sa vision du meurtre et de la mort ?
Et si la mort n’était rien ? Quelqu’un mourrait, et c’était comme des pas qui s’arrêtaient dans l’infini. Mais si c’était un départ pour un autre voyage ? Une portait claquait, un paysage différent, une autre pièce. La mort était comme un arbre qui s’échouait sur le sol flamboyant d’un automne tardif. Cependant, elle représentait aussi cette graine germante dans une terre nouvelle. Surtout, la mort était comme un silence qui hurlait, aidait-il à entendre la musique de la vie ? Il y avait tant de possibilités, tant de choix. Et elle, elle n’en avait aucun, au coeur de ces heures irradiées de vivants, d’alléluias finit dans l’absence, oublies, peur viscérale.
Elle sera sa fidèle. Exigent tout d’elle, elle creusera sans cesse autour de la Tsukino pour y loger ses songes et ses craintes. Elle existait depuis toujours, elle l’a mis au monde, l’a élevé, l’a guidé jusqu’à ce destin. Elle se trouvait aujourd’hui - ici - vivante, alors qu’à l’intérieur tout s’effritait. Rien ne resterait. Et bientôt, son humanité serait consommé par les ténèbres.
Elle allait disparaître. Elle le savait, d’ores et déjà. Cette constatation se dévoila à la lumière d’une accalmie. Son coeur sombra, sa volonté se noya, une coquille vide, une épave au fond d’abysse insondable. Elle releva les yeux vers son vis à vis. Ses mots n’allumèrent la flamme dans son coeur. Il se disloquait déjà, anéanti par la réalité de sa condition. Un sourire faux tira ses traits, un masque de pierre recouvra les pores de sa carcasse. Un souffle, un espoir éteint dans l’air, le vent sibilant dans ses oreilles. Les murmures s’insinuèrent dans son âme privée de lumière.
Cette vie ne méritait pas ses longs sanglots chargés de tourments.
Ninmah recula d’un pas, remit une mèche de cheveux rebelle derrière ses oreilles, baissa les iris sur le vert gazon de la falaise. La brise sublimait le paysage, telle une mer déchainée par des aléas invisibles.
- Tu as raison. La mort ne devrait pas nous terrifier. Je ne sais pas pourquoi je me posais cette question si évidente.
Un rire déchira le calme plat. Ses réactions valsaient dans un tourbillon. De l’excitation à la frustration, rater la marche signifiait dégringoler cet escalier.
Je n’ai pas le choix de toute manière, je suppose. La famille avant tout, aurait-elle aimé ajouter. Retrouvons-nous régulièrement à partir de maintenant.
Sa volonté n’existait pas.
L’espoir mourut dans sa gorge.
Car la mort n’était rien et la vie la peine d’être vécu.
ASHLING POUR EPICODEsecret commun
20.11.96
L’eau ruisselant sur sa peau semblait glisser sur le marbre sévère à peine percé par l’azur de ses yeux captant le moindre éclat pourfendant le ciel gris. Au fond une fumée noire couvait ses peurs et ses doutes qu’il ne pouvait se risquer à confier. La Tsukino parfaitement opposée à lui dévoilait malgré elle cet effet miroir qu’il ne voulait affronter. Dans une inspiration, laisse deviner une aversion certaine envers toute faiblesse, non qu’elle l’incarnait, mais elle les portait à chaque réplique jusqu’à l’aigreur dans ses verbes. Terreur partagée qu’il avait endurée en silence en supportant le poids de la honte et de son indignité à prétendre être ce qu’on attendait de lui.
« Personne n’a le choix. Ça ne veut pas dire que c’est une fatalité. Ce n’est pas tout ce qui te définit » conseil abrupt donné pour apaiser la conscience tourmentée de l’assassin aux allures de réprimandes. Rien ne laisse supposer son inclinaison empathique à la condition endurée, subie pour l’honneur, le clan. On naissait prédestinés à la mort, mais aucunement à la répandre, ce n’était pas une option innée, mais une voie empruntée nécessaire au bien d’une communauté. Le temps de quelques secondes à éteindre une flamme. Le meurtre était une pratique courante cependant peu subissaient le sort sanglant d’une lame lorsqu’il était possible d’ingérer un poison. Lente agonie dans tous les cas influençant les témoins discrets en nombre qui en auront le souvenir à jamais.
De cette mise en scène il ne retient que le drame souffert de l’adolescente. « C’est à toi de la contrôler, pas l’inverse » du bout de bois dans sa main il touche l’extrémité de celui de la Tsukino dans un bruit sec. « Tu ferais mieux d’y réfléchir, ceux qui se perdent dans ces plaisirs déviants finissent par connaître le même châtiment » tout n’était qu’une question de maîtrise et les émotions jouaient sur la posture à adopter, invisible à l’œil et pourtant déferlant de tout leur soul à en alourdir l’épée. Il ne voulait jamais plus être pitoyable, inquiétant son âme de le trahir encore. Mais pour Ninmah, il s’agissait bien d’une menace.
« Retrouvons-nous régulièrement pour y remédier » mutuellement, dans cette promesse de faire de leurs lames de véritables armes, non les bourreaux tisseurs de fils autour de leurs poignets. Ce n’était guère par gentillesse que ses actions étaient menées, seulement dans le but de lui aussi se contraindre à respecter ce qu’il se devait d’être lorsqu’on le lui demandait.
Caresses d’eau, de vent et d’air, elle se trouvait face à la mer. Statue de chair et cœur émietté par les sentiments obscurs, elle ferait le désert en elle. L’eau roula sur les pores de sa peau, traça les contours d’une douceur écorchée vive dans les tréfonds de son âme. Ils étaient tous les deux ténébreux, possédant des secrets mortels à la menace aiguisée d’une lame. Leurs clans observaient leurs gestes, surveillaient ce qu’ils représentaient l’un pour l’autre. Ninmah ne pourrait jamais se tenir en un égal. Elle n’était que la deuxième d’une branche marionnette à celle principale. Poli dans la seule perspective d’être une arme, lui serait un jour chef des siens. Un jour, ils combattraient sans pitié ni remords, se baignant dans le sang, mettant en avant la volonté des leurs avant les préjudices personnelles.
L’espoir persistait dans sa poitrine. Une flamme qu’il alluma subitement, dans une lutte éternelle pour triompher des ténèbres. Ce n’est pas tout ce qui te définit. Du lys pur, du nid doré, n’ôtaient aucune démence, mais de la fleur entachée, de la prison édulcorée brillaient les volontés d’un monstre. Les carnages, les victoires, la fierté et les ordres seront les credo de son avenir. C’est à toi de la contrôler, pas l’inverse. Mensonge destiné à la galvaniser. Elle ne contrôlait rien de son destin. L’acier de son épée luisait dans son esprit et le sourire hideux de celui qui lui avait confié. Elle appartenait à un autre, pas l’inverse. Les futurs plaisirs de la chair seront ceux dilacérés par sa force, son sabre et le désir de son maître.
En effet.
Elle releva les yeux vers lui, voila le reste, souffla son espoir. La lumière de Hanru l’accompagnait et lui faisait danser son ombre dans son dos.
Je ne tomberai pas dans ces vices impurs.
Faux.
Elle le savait mieux que quiconque. Le temps s’écoulait en de lentes plaintes agonisantes. Un jour, elle hurlerait ces murmures à l’aide, ou le faisait-elle déjà à sa manière ? La prochaine fois, que restera-t-il d’elle ? Rien, à part le souvenir de cette rencontre souhaitant la liberté et l’accalmie, et rompre les fils du marionnettiste.
Envoie-moi un origami quand tu le souhaiteras. Il me tarde de croiser le bois avec toi, en espérant n’avoir jamais à croiser le fer. Je crois qu’il est temps pour moi de te laisser.
Ses mèches accueillirent la brise qui s’effaça dans son oreille. L’humidité l’emprisonna mais la pauvreté de ses aspirations dessécha son cœur. Elle passa à côté de lui, s’apprêtant à quitter les lieux, tournant en réalité le dos ou cherchant à attiser un peu plus l’espoir qu’il avait fait vibrer en elle. Elle arrêta pourtant ses pas, apaisant le tambour de guerre dans sa cage thoracique. Elle jeta un œil en arrière, ne se fiant pas à l’expression indifférente de l’Awataguchi. Il en fallait plus pour la déstabiliser… quand on connaissait sa famille.
Prends soin de toi jusqu’alors, mon ami.
Était-ce trop tôt ? Ce mot brûla sa langue, découpa son passé en morceau rougeoyant. Trop peu utilisé et bien trop longtemps oublié, il venait de réapparaître à l’orée de cette rencontre. Combien de temps restera-t-il dans son esprit ? Elle n’en savait point quelque chose. La seule perspective ne lui laissait entrevoir qu’un visage, une aspiration de joie, de paix, de liberté.
ASHLING POUR EPICODE|
|
|