Ange avait toujours aimé les festivals - trop habitué aux restrictions des pantalons de l’école, son corps le démangeant un ou deux matins sur cinq. Ici, parmi légions d’inconnus, il pouvait se laisser aller aux cheveux trop longs et aux jupes trop courtes ; il pouvait être un elle, et personne n’allait l’en empêcher.

Ses cousines adoraient, sans surprise, lorsqu’un mièvre séraphin se présentait à leur porte, armé de courage et d’un penaud sourire. Elles le traitaient en pierre précieuse et ne cessaient de presser de tendres baisers à ses joues poudrées, murmurant moults encouragements dans le secret de ses oreilles - peut-être qu’elles n’aimaient l’aider que pour affûter leurs talents en maquillage, mais Ange s’en contentait.

Et elle était belle.
Son yukata soigneusement enfilé, gracieuseté des mêmes cousines qui insistaient à suivre la tradition - ses cheveux relevés en une complexe coiffure qu’elle ne pourrait jamais refaire, qu’importe le temps donné - son visage discrètement maquillé, juste assez pour complimenter la ciselure de ses traits. Elle se sentait si bien, si vraie qu’elle en oublierait l’effort bourdonnant de son cerveau, s’attelant péniblement à maintenir la forme. C’était devenu un tel réflexe, que de remodeler son corps ; et l’aiguille plongée dans le creux de son coude quelques heures plus tôt en facilitait sensiblement l’épreuve.

C’était lorsqu’elle bataillait avec une éprouvette, ses doigts trop maladroits pour piéger l’un des innombrables poissons (elle était intimement persuadée que Yume et Yasu les voudraient), que tu brisas sa délicate bulle anonyme. Vous permettez? et son sang ne fit qu’un tour, la gorge refermée sur une plainte coupable. Elle en oubliait la mascarade de sa silhouette, persuadée que ton oeil avisé saurait voir par-delà son illusions ; aussi lâcha-t-elle fébrilement son éprouvette, hochant la tête dans un silence étranglé.

...Et, étrangement, rien. Elle s’était attendue à la moquerie, au jugement - nombreuses étaient les rumeurs courant à ton sujet, incompréhension mue en haine et en phobie. Si elles n’avaient été suffisantes pour étouffer les palpitations anarchiques de son coeur épris, elles l’avaient tenue à une respectable distance. Face à l’absence de fiel, Ange risqua un sourire. T’es Ishvar Tsukino, non? Sans même s’embarrasser des vouvoiements trop impersonnels.

Ses yeux glissèrent vers le minuscule bassin, observant la débâcle des poissons pris au piège. Désolée, c’est peut-être un peu bizarre mais, euh. Je t’ai déjà vu, à l’école. Et puis, bon, t’es assez.. connu ? Vague geste de la main, l’air de dire sans surprise ; elle qui s’était cantonnée aux oeillades discrètes s’autorisait, en ce soir impi, à te dévorer d’un curieux regard. Enfin, je t’ai remarqué, quoi. Ah, et elle creusait sa tombe au rythme effréné de ses discours nerveux. Ca sonnait vraiment mieux dans ma tête.

Jamais tombée amoureuse, elle en a effleuré l’idée une ou mille fois et a goûté aux tremblements graciles de ses doigts à maintes reprises. Mais l’Amour, celui qui ronge le coeur et coupe les mains, n’a de cesse de lui échapper - à tes côtés, c’est l’idée sucrée d’une friandise qui roule sur sa langue, l’espoir puéril de découvrir une facette encore inconnue du grand tsukino.

Mais, suis-je vraiment ce que l’on dit de moi ? La tête se penche un instant, le sourcil haussé de curiosité. Ou, ce que tu as remarqué de moi. Mh, les deux sont déjà différents. J’ai du mal à comprendre les rumeurs, et on m’a dit de ne pas les croire. Je préfère me croire moi ! Elle s’exclame et, si ses joues s’enflamment, eh bien, les lumières de la ville le couvre tendrement.

Là où le poisson s’agite à l’idée d’être captif, piégé entre tes mains, Ange envie l’attention que tu lui portes - se demande, un instant, si elle pouvait espérer connaître le même sort. Raté, et c’est un sourire penaud qui ourle sa lippe. Peu importe. S’il était intelligent, il aurait sauté lui-même dans l’éprouvette. La franchise au bord des lèvres, douceur creusée jusque dans les rides de ses yeux plissés de bonheur. Cependant, si tu connais mon identité, je ne peux malheureusement pas en dire autant. De qui viens-je faire l’enchantée connaissance ?

Ah, bien sûr - si Ange était impossible à manquer, à l’école, pour ses fantasques aventures et sa tendance à faire parler de lui, ici il savoure l’anonymat sous des traits plus fins, des cheveux plus longs. Illusion assez convaincante pour qu’il - elle - y croie, et pour que tu penses la rencontrer pour la première fois. Ange, elle souffle doucement, presque inquiète. J’ai pas ta popularité, cela dit. Et puis, je suis pas exactement comme… ça, à l’école, rit-elle, légère. Tu es venu tout seul ? Si tu veux, on peut aller voir d’autres stands. Ces poissons m’ennuient, et je commence à avoir faim. Elle rêve d’une pomme d’amour, d’en dévorer tout le sucre sous les feux d’artifices - aussi te tend-elle sa main, pleine d’un espoir candide et des curiosités qui s’apprêtent sans doute à causer sa perte.