L'Histoire appartenait aux vainqueurs, et les Awataguchi en feraient sans nul doute parti. D'antan, je me serai trouvé au cœur des instants les plus délétères, menant la charge lors de nos audacieuses expéditions : en lieu et place d'un empereur que nous avions longtemps défendu, j'aurais condamné les impi et les déloyaux, non que je ne prête davantage allégeance au profit.

La situation, à présent, était bien différente, et mon fils se hissait au cœur des regards, en digne chef qu'il était devenu ; quant à moi, je coupais court à ma tranquillité, répondant de ses ordres désormais absolus. Quelques sortilèges avaient arraché les Aurors à leur tanière ministérielle, et mon prestige devint dérisoire sous la menace que je représentais désormais : il avait suffi d'un geste pour que les flammes dévorent le bâtiment où se terraient nombre de ces incompétents, et qu'aussitôt, les plus téméraires d'entre eux se lancent à ma suite. Quelle audace, messieurs. Mais je déplore votre lenteur, car alors, j'échappais à leur vigilance et m'enfuis, cherchant à les traîner loin du Ministère. Je n'aurais, aux côtés d'Ishan Tsukino, éprouvé de mal à me débarrasser de nos ennemis, mais tenais à gagner le temps dont Takumi avait besoin.

Quelques impudents firent les frais de cent ans d'expérience et se virent abattus par ma lame ; ces victimes traçaient un sentier au bout duquel nous demeurions intouchables—comme une invitation à nous retrouver. L'instant avait pour lui qu'il m'était amusant, et je me surpris, à la lueur de quelques sortilèges informulés, à protéger mon allié du moindre mal. Quel talent à votre âge, jeune Tsukino. Et alors, un sourire éclaira mes lèvres.

Sous le tumulte que représentaient les innombrables cris d'agonie de nos frêles opposants, l'expressivité bien familière de mon plus fidèle compagnon se laissa entendre : sa silhouette se dessina au loin, piétinant les cadavres avec une véhémence nécessaire, et son doux visage m'apparut enfin—tant gorgé d'inquiétude que de la joie de nos retrouvailles. Sans me défaire du tendre sourire que j'avais tout juste adressé au jeune héritier dont j'avais officieusement la charge, mon tachi transperça la poitrine d'un auror en un geste si gracile que l'hémoglobine n'en effleura ma tenue, et s'en extirpa aussitôt : l'homme s'effondra sous un ultime cri d'agonie, ravivant la terreur parmi les larges rangs ennemis.

Âne ! m'esclaffais-je avec entrain, venant caresser la tête de mon tout nouveau compagnon. Au terme de mes déchirantes séparations avec mon familier, je ne m'attendais à ce qu'il me retrouve ici, tant pour la dangerosité de la mission que sa timidité chronique—si la vue de ces violences ne le rebutait vraiment, la foule de gens s'en serait chargé, du moins, je le pensais : son courage et sa loyauté échappaient finalement à toute notion de crainte. Jeune Tsukino, et tandis que je me tournais vers lui, mon regard témoigna des assauts insolents de quelques aurors. D'un ample geste destiné à tracer des idéogrammes, je mis feu à leurs corps, soustrayant Ishan à toute animosité. Je te présente l'Âne, mon familier. Je lui souhaite de s'entendre avec le tien.

Fiez-vous à ma décennie d'expérience, il n'est d'émotion qui ne s'appuie sur les incoercibles fondements de l'amour, et cette dualité n'a rien d'une scission, car elle les transcende ; le Yin comme le Yang s'allient sur la Voie d'une sérénité rarement égalée, car relève d'une sagesse étrangère à la plèbe. Pour des hommes dont le sens étrique de la justice obombre le jugement, le ridicule s'appuie sur l'étroitesse de leurs observations amphibiennes, cloîtrées au fond d'un puits de ténèbres : sous les éclats des rires drapés par la condescendance, mon visage ne se dépêtre de la tendresse exprimée par mes commissures, tant je partage leur émoi. Une fine fleur que votre incompétence peine à neutraliser. J'ose espérer que vous vous démarquerez davantage, et tendrement dédié à m'enquérir de l'état de mon familier, je ne distinguais les traits de l'homme qui nous menaçait alors—non que, au simple ressenti de sa présence, je n'en éprouve le besoin : les entraînements avaient poussé l'auror jusque dans l'apogée de son propre talent, et j'en constatais les vertus. Jeune Tsukino, et ma voix se hissa des limbes d'une arrogance abruptement ravivée, et dont les inflexions ne portaient plus la moindre parcelle de joie. Je fis face au directeur, déployant mon ample silhouette tant drapée de noir qu'elle se confondait avec le spectre d'une mort imminente—une mort que je réservais à mon adversaire. Je te confie les familiers. Reste en retrait. Cela ne prendra qu'un instant, et mes iris carminés s'effritèrent en éclairs menaçants, sculptant la terreur jusque dans les veines de ces impudents.

Sous l'impulsion d'une magie tant vive que redoutable, mon allié avait neutralisé nombre de nos opposants, et je témoignais—sans nulle expression de fierté, cette fois—de ses efforts : ma main se hissa devant moi, et mon index et majeurs joints vinrent tracer deux kanji à une allure affolante : l'eau (水) jaillit sous la forme d'un immense serpent (蛇) venu s'écraser à même le directeur. Sans l'once d'une hésitation, mon application couvrit tant mes alliés que moi-même d'un large bouclier (盾) afin de nous tenir loin de toute humidité, non sans raison : un ultime caractère fit s'abattre la foudre (雷) sur le champ de bataille empli des courants de ma froide fureur, électrocutant nos ennemis sans la moindre pitié.

Je n'avais été mis en déroute depuis bien des décennies, et me laissais surprendre—à la lueur d'une brève inattention—par l'imminence d'une prison de terre : mon équilibre rompu par l'effort d'un adversaire étonnant de surprise, je me hissais à quelques centimètres du sol pour me garder de toute chute.

Du bout de mon pouce, j'extirpais Ichigo Hitofuri de son fourreau, non sans orner son tranchant d'un sublime kanji (強風) : en un sifflement de vent, si dangereux que je dus en mesurer la précision de mon geste, je tranchais la prison verticalement, laissant ses parois s'écraser de part et d'autre de nous : à nouveau illuminés des bonnes grâces du soleil,  je me laissais aller en un énième sourire, juste témoin de mes radieuses humeurs.

Je te prie de reculer, jeune homme. À la lueur de tels outrages, j'ai l'intention d'attaquer avec bien moins de tendresse. L'air sembla se charger d'une électricité nocive. Le sourire se laissa diluer en des traits concentrés, fermant mon visage à toute bribe d'émotions : si la sérénité de mon âme n'avait nullement été ébranlée par cette rencontre impromptue, ma magie tourbillonnait autour de ma silhouette comme une tempête menaçante. La température chuta de quelques degrés, et d'un ample geste, je traçais un gigantesque représentation de l'idéogramme de la glace (氷). Cher ami, je salue votre audace, mais il fallait vous couvrir davantage. Quelques étoiles de givre étincelaient dans un paysage désormais couvert d'une brume immaculée, et la magie, sporadiquement étendue aux alentours, sans commandement précis, s'assembla sous l'autorité d'un second tracé : la fleur (花).

La glace se forma à hauteur des jambes de l'auror, remontant progressivement jusqu'à couvrir sa silhouette d'une élégante et gigantesque fleur de givre. Passez d'excellentes fêtes, murmurais-je, non sans une gracile courbette : de mes doigts se dessina le kanji du feu (火) formant, de pair avec la fleur, celui du feu d'artifice (花火). De fait, la prison éclata en morceaux, et si la détonation se voulait autrement plus délicate qu'une véritable explosion, j'espérais tailler son corps de quelques éclats de glace.

D'un geste vif, je tirais un éventail de ma manche afin de couvrir mon visage de quelques douces brises de fraîcheur : l'effort, tout modéré qu'il m'était, méritait son lot de réconfort.

Il régnait une nonchalance particulièrement navrante dans les gestes de l'arriviste qui, sans crier gare, coupa court au duel qui m'opposait à mon sublime adversaire : les étalages du talent inhérent au jeune âge du directeur auror faisait vibrer mon âme d'un intérêt unique, et à ce titre, une intervention extérieure m'arracha un soupir agacé. Le vif tracé de mes doigts joints appuya son initiative des grâces d'un idéogramme (深い) venu agrandir considérablement la profondeur de sa cavité, tandis que, de mon autre main, je fis multiplier (増えろ) la quantité comme la densité de sa boue.

En ce geste, je ne manquais pas de changer le る au profit du ろ, car ce dernier, sous l'impulsion de l'impératif, n'était que plus efficace : les hyènes pataugèrent pitoyablement à la surface d'un liquide venu les submerger, et peinaient à s'en extirper. Sous les clapotages agonisants des créatures sous l'emprise de ce double sortilège, je conclus l'assaut d'un feu (火事) dont le second kanji renforça la puissance : la mort des canidés, à présent, m'était assurée.

Première leçon, jeune Seizan. Ne manquez pas d'évaluer la force de votre opposant, car votre négligence aurait pu vous coûter la vie. Toutefois, et je tirais une fois encore Ichigo Hitofuri de son fourreau, je salue votre talent, et vous serai gré de l'allouer, jusqu'au terme de mon affrontement, au service de mes compagnons. J'avais disposé une part bien trop importante de ma magie au gré de ce duel, tout directeur auror que fut mon adversaire : il demeurait un nombre alarmants de Shuusei au sein de Kyoto, aussi ne pouvais-je me permettre de perdre davantage de temps en cette bataille, en dépit du divertissement que j'en avais tiré, car mon fils nécessiterait peut-être mon aide.

Tout en gardant mon arme en main, j'usais de la droite pour tracer l'idéogramme des ténèbres (闇) afin de répandre un noir absolu sur le champ de bataille et obstruer la vue de l'auror, ne serait-ce que pour un instant : le voile obsidienne se répandit et il ne me suffit que d'une seconde pour rompre la distance entre nous, un pas de velours fondu dans le silence et la vivacité, me glissant dans son dos, libre de toute garde, pour espérer trancher sa tête de ma lame.