bloody story
30.11.97
De tous les crimes que l’on pouvait commettre, il y avait celui de nuire à son clan et particulièrement à sa famille et si ça n’était pas dans les projets de l’Awataguchi, la façon dont il percevait le monde était foncièrement différente de celle d’une majorité d’entre eux. Lui serait un jour confronté à abaisser son sabre pour exécuter une sentence décidée par son père ou à tirer la corde après l’avoir passé autour du cou d’un des siens. La mort ne l’effrayait pas et portait un long manteau vaporeux et sa lame imbibée de sang brillait toujours d’un éclat argenté quand sur la sienne, il y verrait le reflet de son âme brisée. Peut-être ne connaîtra-t-il jamais cette sensation, cependant pour avoir côtoyé de prêt l’esprit tout d’indifférence et d’insensibilité, il avait une idée du vide que l’on pouvait ressentir. L’exécution n’était en soit pas son problème, car il en comprenait toujours les raisons et les approuvait afin de purifier l’esprit dissident et de le revoir un jour sous une forme bénigne.
La lame en revanche serait témoin de bien plus et l’empoigner lui ferait ressentir toute la vibration d’horreur qui déferlait toujours le long de sa colonne à la vue du liquide amarante. Sa visite au grand prêtre du temple dédié aux études et par extensions à ceux comme lui qui étaient encore sur les bancs de l’école n’était pas anodine. Il avait besoin de réponses, en particulier pour se rassurer sur ses agissements. Sans en trahir les siens, il voulait vaincre une peur qui ne l’avait pas quitté depuis qu’elle avait été découverte et rien ni personne n’avait su le rendre plus fort à la vue du sang.
Arrivé auprès du vieil homme il l’observe tout d’abord et comprend que tout comme son grand-père, l’usage d’onmyodo est une pratique courante. Non pas qu’il n’en avait jamais rien su, au contraire, c’était toujours incroyable au point qu’il se demande à quoi devaient bien ressembler ces hommes sans l’usage de la magie, lui qui se fichait éperdument de l’apparence de quelqu’un avait soudainement un frisson à l’idée même de voir une ride se manifester avant qu’un éclair ne traverse son esprit et qu’un sourire ne naisse en pensant à son cousin. Akashi devait voir ça. Vraiment.
Il passa rapidement à autre chose, s’inclinant auprès du Sugawara et exposant les faits le plus simplement possible. « Sugawara-dono, j’aimerai parler d’un sujet qui me concerne et m’ennuie beaucoup » il était rare que l’Awataguchi mette autant de douceur dans ses mots, bien qu’il ne soit pas incapable de le faire.
Il y avait en ce monde des cœurs perdus, et ils poussaient les esprits à des songes destructrices, car jamais ils ne cessaient de se questionner. Hanamaru avait l’habitude d’écouter les maux de ceux qui venaient à lui, sans être psychologue pour autant car il n’était guère de sa profession que de les soigner – mais le prêtre pouvait les conseiller à trouver une voie plus douce que celle qu’ils empruntaient.
Installé dans un coin, observant paisiblement les magnifiques jardins du Kinkaku-ji, Hanamau était terriblement satisfait de n’y voir nulle mauvaise herbe. C’est ainsi qu’il vit au loin le jeune Awataguchi l’approchait, aussitôt il le salua poliment avant de l’inviter à s’asseoir à ses côtés.
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30.11.97
De son apparence bienveillante, le Sugawara avait invité le plus jeune à prendre place à ses côtés tout en lui proposant de quoi ouvrir son appétit. Le sucre pouvait bien attendre, il y avait bien trop de fer prêt à le faire trembler de tout son long tant il détestait l’idée même d’en aborder le sujet. Sa colère était cependant bien plus grande et le maintenait sans le moindre effort dans un état stable, lui permettant de souffler. Jusqu’où devait-il aller pour exprimer ses malheurs et donner forme à ses propres démons ? Était-ce même judicieux d’en confier l’existence à un prêtre qui n’était pas de son clan ? Il ne voyait aucune raison pour qu’on leur nuise. Son nom même était dans l’esprit de tous le synonyme de liens durables et d’une neutralité qui prenait sa source là où ça n’arrangeait qu’eux sans dépendre des autres.
Sa main se serre au-dessus de son genou, de l’autre il frotte son pouce sur le tissu, essayant de garder son calme. « Je voudrais parler de la mort, parce que je ne la crains pas, mais le sang me dérange et c’est un problème » il n’alla pas à l’essentiel, ne trahissant pas être dans le secret absolu de quelques affaires qui ne concernaient pas le Gûji. « Pour moi ça n’a rien d’anormal de vouloir en parler, mais je n’ai pas envie d’être un illuminé aux yeux des autres » il aurait pu en parler à son père, mais il avait déjà à faire avec les problèmes de son petit frère et ça n’était pas la peine d’en rajouter un. Hanru estimait cette faiblesse comme une faille nuisible et il était pour lui pressant de l’éradiquer. Les solutions n’afflueraient pas s’il n’en parlait pas.
Enfin, cela n’était que l’avis d’un vieil homme d’une centaine d’années, peut-être n’était-il plus tout à fait dans le juste, ou au contraire Hanamaru était certainement trop sage.
Il prenait rapidement de quoi manger, l’estomac bien moins noué que celui du jeune garçon – après tout il fallait beaucoup de courage à celui qui voudrait taire la gourmandise du Sugawara.
Hanamaru gardait une expression neutre face aux sentences du jeune homme, dans l’écoute plus que dans le conseil dans un premier temps, il n’était guère le meilleur pour le conseiller sur la voie qu’il semblait énoncer.
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30.11.97
Le prêtre savait trouver les mots pour délier les langues et ça n’avait rien d’étonnant aux yeux de l’Awataguchi qui ne demandait que ça, pouvoir parler en toute sécurité. La mort est une souillure, mais le sang l’est à ses yeux plus encore. Prendre une vie est considéré comme un acte répréhensible et à juste titre, il ne devait pas laisser entendre pouvoir être amené à le faire un jour. Cependant, comment aborder le sujet sans qu’il n’en soit question ? Ses lèvres se réduisent en une ligne avant qu’il n’acquiesce. « Je n’y peux rien, quand j’en parle, ça n’est rien, mais en voir m’est impossible » il devait lier son approche aux derniers évènements. Ça n’était pas mensonge, relater un fait qui l’avait marqué le soulagerait peut-être par la même occasion.
« J’étais là quand les Yokais ont attaqués. J’ai vu des personnes sans vie et ce n’est pas eux qui m’ont tétanisé, mais le sang » sans entrer dans les détails, ses doigts se serrent sur le tissu de sa tenue. Il s’en veut, il commet peut-être une erreur, mais il en avait besoin, pour savoir s’il était normal de le craindre plus que la mort. Il avait déjà en partie sa réponse, seulement, pouvait-on l’aider à comprendre ? « Je veux juste… ne pas être différent et craindre comme tout le monde » car cela lui pesait, bien plus que tout le reste. Il était normal d’avoir des faiblesses. À ses yeux, c’était une correction qu’il devait apporter au moins pour ne pas faire défaut aux siens. Comment pouvait-il les offenser davantage qu’en étant incapable de manier le sabre en combat réel ?
Tout n’était question que de vision et de perception, et tout être voyait différemment des autres.
Il n’était guère de l’avis du clan ami, mais il comprenait la vision qu’ils avaient de la vie – et plus particulièrement de la mort. Bien qu’elle ne fut qu’une étape à franchir, elle restait une souillure dont il fallait s’écarter – chose que de nombreuses personnes ne faisaient pas. Les temps changeaient, et Hanamaru en était bien conscient, tout ne restait pas au même point et rien ne cessait d’évoluer en ce monde.
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30.11.97
Ses nuits étaient calmes et il n’était aucunement dérangé dans sa vie quotidienne par ce détail, si ce n’est lorsqu’il s’entraînait. Le sang d’une coupure ne le gênait pas, à peine une sensation désagréable, un picotement. Mais lorsqu’il y en avait beaucoup, il devait faire preuve de maîtrise pour s’isoler et laisser libre cours à une panique indomptable, elle, à l’en rendre vulnérable. Il détestait cette idée. Lorsque le prêtre lui expliqua que la mort était kegare plus que le sang et qu’il était normal de ne pas avoir tous les mêmes peurs, lui ne fut pas de cet avis.
« Elle est kegare, mais aucun de nous n’y échappera, c’est pour moi plus logique d’en avoir peur plutôt que du sang » La main sur son épaule était rassurante, mais son malaise tendait ses muscles. L’apaiser à ce stade était toujours possible en lui apportant des réponses, mais lui-même ne connaissait peut-être pas la bonne question à poser. Le sang était un élément vital en cela, il était effrayant de l’en voir s’en échapper. Mais d’un autre côté, il était preuve du vivant et il était effectivement impossible pour lui d’avoir peur de vivre.
« C’est… vrai. Je ne voyais pas les choses comme ça, mais plutôt comme… » se vider de son sang. Il tue malgré tout son idée, frissonnant d’inconfort, tout en sachant que c’était en dénigrant la substance qu’il défavorisait son rétablissement. Quant à la proposition, il laissa entendre un « Non » relativement strict bien que c’était à considérer. Si on pouvait lui apporter une solution, la seule personne qui en était capable était bel et bien son père. « Pas encore » Il déglutit, fermant ses poings et inspira profondément. « Est-ce possible d’apaiser l’âme ou l’esprit d’une personne vivante ? Pour… me rassurer »
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30.11.97
Dans l’or il ne voyait que l’attrait à vouloir soulager sa conscience et en dépit de sa bienveillance, Hanru se sentait honteux de mettre dans la confidence ce prêtre. Sa pomme d’Adam se mit à danser lorsqu’il déglutit, témoignant d’une gêne qu’il ne savait exprimer. On ne jurait que par le sang et pourtant lui le craignait, conclusion des plus ironiques à l’en irriter et le sujet de son géniteur ne fit qu’accroitre sa nervosité, refusant d’être un échec à ses yeux pour ce fait dont il se sentait déjà coupable. Né Awataguchi dans cette branche particulière, en ses croyances il voyait une malédiction posée sur lui pour punir leur famille, voire le clan. Serait-il en mesure un jour d’être le digne fils de Takumi Awataguchi ? « J’essaierai » fut tout ce qu’il laissa entendre, ses mots mourant comme une promesse incertaine.
Plus que de son père il avait peur de faillir à sa tâche et le sang ne pourrait aucunement essuyer cette fatalité, gaspillant sans doute une énergie folle investie à son éducation. Au fond de lui, c’est cette piqûre qui le consumait de l’intérieur à être se frotter constamment aux problèmes qu’il tentait de résoudre. Mais il se trompait lourdement. Il ne trouva réconfort qu’en cette purification possible et ce soutien offert en dépit de ses confessions hérétiques. « Merci… je vous tiendrais… au courant » se força-t-il à dire. Qu’en avait-il à faire ce prêtre du sort d’un enfant brisé par sa propre motivation ? Sans doute rien, mais il resta poli et s’inclina avant de partir à son tour, l’esprit encore confus sur la décision qu’il devait à présent prendre.
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