manami

tu as les nombres sur le bout de la langue
l’odeur des feuilles de thé accrochée à la peau
la lueur d’un cristal reflétée dans tes yeux
des fragments de coquillages incrustés dans les mains et
les cartes qui jamais ne te quittent font partie de toi, de ton aura

(elles justifient ton existence et pourraient dire sur toi plus que tu ne le pourrais)
(si tu le voulais, mais tu ne veux vraiment pas, manami)

(cage thoracique de glace gardant un cœur qu’on est pas bien sûr d’entendre battre)
tu penches la tête sur le côté sourire éternel gravé sur un visage aux expressions contrôlées

tu es une patiente confidente, abaissant les coquilles et renforçant les tiennes pour garder tous les secrets
douce avec la timidité et compréhensive avec l’animosité
(tu n’as plus peur des injures, de la violence, non, tu souris et tu offres du thé avec un ton égal)
tu te sais insupportable pour certains, et c’est avec amusement que tu continues dans cette voie
pourtant tu te sais stricte parfois (les trop turbulents, ceux qui pourraient causer du tort)
et tu ne te laisseras pas marcher sur les pieds longtemps, remettant à leur place les élèves trop effrontés d’une voix doucereuse tout aussi capable de rassurer et d’encourager que de se faire poignard

mais parfois
ton cœur bat trop fort et fait fondre les parois qui l’emprisonne
et il y a des flots d’émotions qui font surface
(bulles de joie espiègles et enfantines (taquine) ou piques acidulés de rancune et de fierté (têtue))
elles t’empêchent de te revêtir de ton professionnalisme (de te protéger)
et alors tu deviens
asagao

(asagao l’enfant asagao l’idiote)
asagao l’éternelle insatisfaite
asagao qui s’attache (trop) vite
cœur en morceau qui cherche quelque chose à aimer sans condition, à aimer sans retenue et sans
avoir peur

parce que tu n’as pas peur de la haine l’animosité le mépris
tu connais c’en est presque ennuyant un cirque répété compris analysé et ahh c’est à peine inconvénient un léger imparti rien de plus rien qui te fait bien réagir comme
(l’affection)
asagao, tu aimes à en mourir

tu respires mieux lorsque (enfin) on t’accorde salvation (une main dans les cheveux, des doigts entremêlés au tiens)
tout peut être innocent tant qu’on le veux bien (pour toi)
tu as juste besoin
mais comme beaucoup de besoins d’envies de pensées d’idées d’espoirs tu les jettes dans l’océan et tu attends qu’ils coulent et
ils ne referont surface que lorsque la tempête gronde et les vagues se font trop haute pour cacher les déchets que tu y a enfouis
(et quand la tempête gronde et quand tes yeux se font sombres il y a une menace qui plane il n’y a jamais les mains mais des mots tranchants)
et ta peur de blesser se mêle aux éclairs d’autrefois vengeurs à la défiance à tu n’aurais jamais dû pardonner petite sœur tu n’aurais jamais dû plier l’échine face aux tirants

mais une fois calmée la tempête elle te laisse faible et abattue
culpabilité que tu (fais) laisses remonter avec les marées culpabilité que tu pourrais chasser mais tu
la laisses rester tu te laisses ronger (et la rouille, elle se propage, elle gagne et oh combien elle est difficile à faire partir plus elle reste)
et ton regret est douloureux septs épées tournées vers toi enfoncées dans ton thorax (et les flots déferlent) blessure que tu réouvres constamment à chaque occasion à chaque souvenir et tu
(te noies dans les larmes jamais coulées et tu dis c’est ce que tu mérites idiote et il y a le doute la haine le sourire faux de satin trop doux trop beau utilisé pour dire oui je vais bien oui tout va bien tout est à sa place ma place est ici et souffrir est ma responsabilité))

alors tu as besoin d’un guide pour être une bonne personne un plan noir sur blanc
(et tu ne sais pas ce que tu veux vraiment)
d’une ancre pour te (re)tenir, pour t'empêcher (de sombrer) de blesser
(tu as besoin de protéger d’aider d’essayer (de changer))
(et tu ne sais pas ce que tu penses)
tu touches la possibilité d’aider avec des doigts tremblants, avec des yeux qui en ont trop vu et pourtant jamais assez, tu aimes l’idée que tu puisses aider avec honnêteté
(les notions de vérité de mensonge de responsabilité d’obligation floues tu restes là, confuse et persuadée que tu fais toujours ce qu’on te dit et que jamais tu ne pourras être)
(une bonne personne)
trop consciente que
ton cœur bat trop fort à l’idée de (te) détruire


et tu aimerais dire
tu n’es pas attachée au passé mais
((la réalité, c’est que tu es faible, faible face à ceux que tu as un jour aimé et haï et comment passer à autre chose quand c’est si douloureux, alors tu gardes l’affection mais tu la coinces au fond de ta gorge pour ne plus ressortir et et l'agression déferlant au bord de la langue qui crie défendre défendre contre ceux qui t’ont fait du mal et qui pourraient t’en faire plus encore)

le cœur qui flotte une fois la glace fondue il se voit et il est si (accessible) ((vulnérable))
et tu gardes les traces de tous ceux passés chez toi tu gardes des souvenirs de vingt ans déjà et tu les effleures parfois et tu prétends qu’il ne te brûlent pas, tu prétends que tu ne te piques pas constamment au goût des tourments passés
alors peut-être ils avaient raison, peut-être que tu as la servitude dans le sang après tout