L’origami libéré de ses entraves bleutées, doux haïku de la préfète des araignées. La demoiselle griffonne quelques mots sur un papier parfumé, et les éloges de Hayashi capturent ses pensées d’une seule bouchée avant même que le message puisse s’envoler.

Les mots qu’elle désire prononcer sont happés, enfermés dans un nuage de buée. L’échine frissonnante, le tissu de l’uniforme s’adapte à l’air glacial. Son palpitant s’accélère lorsque le ciel se pare de son manteau nocturne, et l’iris accaparé par l’apparition de la femme au-dessus de l’eau,  elle s’incline gracilement en révérence. Magnifique et puissante, elle désire s’approcher d’elle et l’admirer de plus près, elle est si belle ; mais la simple idée d’offense lui brûle son envie et lui rappelle que ces êtres fabuleux ne sont pas tous miséricordieux.  

Une œillade vers sa gauche, elle remarque les doigts de son voisin chercher la baguette dans sa poche. Les sourcils de la demoiselle se froncent légèrement et d’un geste délicat, sa main vient entourer le poignet de l’ancien préfet ; ses ongles s'enfoncent dans sa paume, marquant sa peau de quelques croissants de lunes. Ne commettez pas d’imprudence. La magie serait futile face à elle, Cher Prince, et je ne permettrai pas un tel outrage en ma présence, murmure-t-elle avec une pointe de douceur avant de se redresser.

Jamais, ô grand jamais, elle ne laisserait un sorcier pointer sa baguette sans raison vers ces sublimes créatures. Ses doigts relâchent la chair meurtrie par ses serres et elle ose s’approcher. Ses jambes la guident sur une courte distance entre son aîné et la reine de la nuit. Imprudence ? Probablement, et pourtant elle veut y croire. Immobile et respectueuse, elle veut croire en cet être qu’elle admire et à ce nouveau soleil.
Bien qu’elle aurait préféré l'être, son astre solaire.

Ses pensées sont submergées d'interrogations. Un soleil ancien resté à l’ombre des regards pendant bien longtemps ; elle supprime les idées erronées et tente de raviver les souvenirs enfouis : enseignements de ses proches comme ceux des professeurs d’onmyodo. Les langues se délient bien vite aux paroles énigmatiques du yokai et Kaori reste silencieuse en s’abreuvant de celles d’Oikaze et Hayashi. S’agit-il d’un être vivant ? Un objet ? Un astre ? dit l’ancien préfet, et c’est un éclair de lucidité qui illumine ses pupilles.

Si ma mémoire s’avère exacte, les légendes content Dame Himiko comme son ancien soleil. Légère pause dans sa tirade, ses pas la rapprochent du préfet des araignées et ses doigts capturent le tissu soyeux d’un haori. Dame Himiko, reine et sorcière de renom. Il est possible que je fasse erreur, pourtant, j’appuierai l’idée que ce nouvel astre solaire est soit un sorcier, une sorcière, un yokai ou même une déité possédant le même éclat. L’habit enveloppe ses épaules et ses doigts glissent précieusement un bonbon à la fleur de violette dans le creux des mains de son aîné à la chevelure de feu. Laissez-le fondre sur votre langue, Cher Seizan, vous m’en direz des nouvelles. Doux murmure dissimulé derrière un tendre sourire, l’iris de ses yeux étant plongé dans les siens.

Lentement, elle s’éloigne du préfet et s’avance vers l’adulte en charge du groupe et lui offre à lui aussi, une des étoffes qu’il a proposé. Veuillez pardonner mon insolence professeur - si vous en voyez une - mais prenez également soin de vous. Le ton calme, il n’y a là qu’un geste empli de bienséance.

L’épiderme frissonnant et les mains glacées ; ses pupilles se parsèment de constellations face à la magie du yokai ; le regard scintillant d’admiration, elle contemple la reine comme une enfant émerveillée par la beauté des étoiles. Nulle crainte, ces êtres ne sont pas aussi mauvais que vous pourriez le penser. Ils sont puissants et merveilleux, et elle est sublime. Ayons confiance en elle je vous prie.
L’écho de sa voix s’évapore en une douce prière vers les cieux.

Sages sont les paroles de Takiyasha, connaître l’avenir n’apporte rien de bon. Confiante, l’échine de la douce Tsukiyomi s’incline en révérence et ses doigts froissent légèrement son haori : pointe de tristesse lorsque la Dame annonce son départ. Elle aurait aimé Kaori, se tenir un peu plus longtemps à ses côtés ; désir égoïste qui renferme de la jalousie envers l’astre diurne inconnu.

Les rayons sélénites s’éclipsent silencieusement en compagnie de la reine et les iris habitués au manteau de nuit forcent ses paupières à s’affaisser à la lumière du jour, le soleil baignant à nouveau la terre de sa chaleur ardente. Un astre solaire levé depuis peu. Doux murmure adressé à elle-même ; ses ongles s’enfoncent douloureusement dans la paume de ses mains, se laissant des marques bien plus profondes que celles faites à l’ancien préfet.

Songeuse et silencieuse, ses pas la guident jusqu’à la rive. Au diable les maudits kappa et leurs odeurs nauséabondes ; elle s’accroupit, les cheveux caressant l’herbe humide et la chaude étoffe couvrant ses épaules se pose sur ses genoux. Les prunelles attirées par le reflet du Fujisan dans le bleu du lac Yamanaka, elle profite de l’instant présent et confie des messages aux cieux ; la chance leur avait sourit avec cette sublime rencontre, mais qu’en est-il de ceux qui ont été envoyés sur la montagne sacré. Elle se doute qu'il y a bien plus de peur dans le coeur de ses camarades comparé à sa profonde admiration envers certains yokais ; si elle a pu retenir Hayashi d’utiliser sa baguette, elle ne peut s’empêcher d'être inquiète de l’imprudence des autres.