L’ambiance est si solennelle qu’elle en devient presque pesante – ou peut-être est-ce le seul fait de l’océan qui engloutit leur petit monde. Kayo s’est frayé une place parmi les silhouettes déambulant comme des fantômes apathiques – sordide ambiance, songe-t-elle – et fait ce qu’elle peut pour faire bonne figure, les bras encombrés d’offrandes, quand en réalité son regard scrute la masse à la recherche de quelques camarades à retrouver. Il ne lui faut guère longtemps pour entendre un peu plus loin les éclats de voix de Ange dans sa splendide habilité à se faire remarquer partout où il passe – ses hurlements suggèrent d’ailleurs que Nael est également de la partie. Kayo contient difficilement un rire, se contentant de pouffer peu subtilement. Quand enfin elle aperçoit les deux compères se glisser plus près d’elle, elle mime un vague geste de la main, secouant les offrandes sans ménagement – profane ! « Pssssst, là, Ange, Ange ! » Elle chuchote avec véhémence, si fort qu’on ne l’aurait sans doute pas mieux entendue si elle avait parlé de vive voix.  Puis, sur un ton plus clair et les sourcils froncés dans une vaine tentative d’adopter un air plus que sérieux : « C’est vrai que t’as bouffé tes offrandes Nael ? ». Les événements les plus sacrés ont ceci de terrible qu’ils la rendent si nerveuse qu’il lui est difficile de contenir rires et sourires, d’autant plus en la compagnie de ces deux-là. « Chiche de chiper celles des profs. » Loin d’elle l’idée d’offenser les yokaïs, qu’elle tient d'ailleurs en haute estime, mais l’idée est alléchante et il lui a semblé avoir vu quelques professeurs en possession d’offrandes potentiellement bien meilleures que les leur – et elle aurait moins d’hésitation à en croquer un morceau si tant est que la faute reposait sur Nael après tout, car si la théorie veut Kayo audacieuse, la pratique la révèle davantage comme étant une couarde aux idées stupides.